En tant que travailleur social engagé dans des pratiques anti-oppressives centrées sur la communauté, je ne peux ignorer l’histoire violente de cette profession—une histoire marquée par le contrôle de l’État, la surveillance et les interventions dans les communautés marginalisées. Je réfléchis souvent à ce que ça donnerait de créer des espaces où les gens n’auraient pas besoin de l’intervention de l’État ou de travailleurs sociaux pour s’épanouir. La scène kiki ballroom propose une réponse concrète en incarnant une forme de soin alternative—une forme qui favorise la résilience, l’auto-régulation, et une façon de traiter les traumatismes liés à la noirceur et à la queerness dans un monde qui marginalise les deux.
Le kiki ballroom : un système d’autorégulation pour le bien-être des personnes noires queer
Le ballroom n’est pas simplement un espace de performance; c’est un paysage thérapeutique, culturel et politique qui fournit des outils de guérison. Quand les gens chantent, voguent, et incarnent des catégories comme la performance et le runway, ils ne font pas qu’interpréter—they utilisent leurs corps pour réaffirmer le contrôle et restaurer un équilibre. Ces pratiques stimulent le nerf vague, une composante centrale du système nerveux qui régule la santé émotionnelle. Une fois activé, le nerf vague permet de s’ancrer émotionnellement, procurant un sentiment de calme et de contrôle qui est à la fois réparateur et transformateur.
D’un point de vue social, cette attention au corps dans le ballroom—surtout dans les catégories de performance et de défilé, où la conscience physique et le contrôle sont essentiels—s’oppose directement à la dissociation, une réponse courante au traumatisme. Dans le ballroom, les personnes noires queer trouvent un profond sentiment d’appartenance et de maîtrise de soi. Cela aide les participant·e·s à rester connectés à leurs corps, combattant ainsi le détachement souvent causé par le besoin de naviguer dans des systèmes oppressifs.
Ballroom, Black Joy et rejet de la “résilience” comme survie
Une des forces les plus importantes du ballroom est la façon dont il redéfinit la résilience—non pas comme un insigne de survie, mais comme quelque chose de célébratoire, joyeux et intrinsèquement créatif. Traditionnellement, le travail social a mis en valeur la résilience, valorisant la capacité à endurer des épreuves. Cependant, je trouve cela problématique; la résilience ne devrait pas être quelque chose que les personnes noires queer doivent développer à cause de l’oppression. Pourquoi devrait-on souffrir pour être célébré comme étant fort ?
La scène kiki bouleverse ce narratif de la résilience comme survie et célèbre plutôt la joie, la créativité et le droit de vivre librement et expressivement. Elle offre un cadre alternatif ancré dans la Joie Noire—un concept issu des études noires queer qui résiste à l’idée que la croissance nécessite la souffrance. À travers le ballroom, nous voyons que les personnes noires queer n’ont pas besoin d’être “résilientes” face au mal; ce dont nous avons besoin, ce sont des espaces qui nous permettent de nous épanouir, de célébrer la joie sans qu’elle soit conditionnée par la souffrance.
Un changement radical dans les soins communautaires : réduire la présence de l’État
Quand on considère les fonctions du ballroom, en particulier la scène kiki, on commence à voir que cela représente un modèle de soins communautaires qui réduit la dépendance aux services sociaux. Le ballroom répond à des besoins essentiels—validation, appartenance, santé émotionnelle—au sein de la communauté, sans avoir besoin de l’intervention ou de l’approbation de l’État. C’est une réinvention profonde des soins, un modèle où les personnes noires queer ne sont pas dépendantes de structures externes mais construisent des ressources et des systèmes de soutien dans nos propres espaces.
Les contributions du ballroom sont souvent invisibles pour la société en général, qui peut le voir comme une simple sous-culture. Mais pour ceux·celles qui en font partie, le ballroom est un système d’autodétermination qui priorise notre autonomie et notre bien-être, offrant un moyen pour les personnes noires queer de guérir et de bâtir une force collective. Ces avantages ne sont pas moins valides ou impactants que ceux des services gérés par l’État; en réalité, ils sont souvent plus efficaces parce qu’ils sont culturellement spécifiques, construits autour d’expériences partagées, et conçus pour nous, par nous.
Aller de l’avant : le travail social comme allié, non comme intermédiaire
Dans mon rôle de travailleur social, mon travail n’est pas de “ramener” mes client·e·s dans le système, mais d’amplifier les espaces qui les soutiennent déjà. La scène kiki offre un modèle de soins communautaires qui est direct, auto-régulé, et répond aux expériences uniques de la vie noire queer. Soutenir ces espaces signifie reconnaître le pouvoir culturel et physiologique du ballroom pour traiter le traumatisme, créer de la joie, et favoriser la guérison, et cela signifie aussi faire un pas en arrière pour laisser ceux·celles qui en font partie en définir l’avenir.
La scène kiki ballroom pose un défi à la profession de travail social pour repenser son rôle. Au lieu d’intervenir comme intermédiaire, et si les travailleur·euse·s sociaux devenaient des alliés à ces espaces autonomes, reconnaissant et apprenant de la sagesse qu’ils contiennent ? En passant de l’intervention au soutien, nous pouvons faire place pour que des communautés comme le ballroom s’épanouissent à leurs propres conditions, se soutiennent elles-mêmes, et offrent une guérison réelle, incarnée, souvent inaccessible dans les systèmes traditionnels.
Cette vision ne concerne pas la satisfaction des normes fixées par l’État; il s’agit d’affirmer que les vies noires queer sont déjà suffisantes en tant que telles—pleinement réalisées, épanouies, et dignes de célébration. C’est une vision de soins communautaires qui rejette le statu quo, en centrant la joie, la créativité, et l’agence, plutôt que la simple survie. Et je crois que c’est une vision que nous devrions tous·tes travailler à construire.